25. September 2013
Cardinal Louis Antonio Tagle, ancien boursier du MWI et Archevêque de Manille raconte


photos par Helmut Schwarzbach

Interview avec Cardinal Louis Antonio Tagle, Archevêque de Manille

(L‘Interview a eu lieu le 18.07.2013 durant le V. Congrès IACM à Nairobi (Kenya) ayant pour sujet „Inter Gentes“, 45 min)

 

L’Institut de Missiologie (MWI) a financé vos études de doctorat à Washington. Qu’elle est d’après vous l’importance de vos études supérieures et de la bourse pour votre travail?


Tout d’abord, je dois affirmer que je suis très reconnaissant pour la possibilité de la bourse – encore aujourd‘hui. Le MWI m’a aidé au financement de mes études de doctorat à Washington DC. À Washington même, j’avais une bourse de séjour de la part de l’Université et de mon diocèse. Ceci n’aurait pas suffit pour la recherche, comme par exemple pour l’achat des livres. Là, au bon moment le MWI m’est venu en aide. C’était comme un sauvetage [il rit chaleureusement]!

Les études de doctorat était un „TURNING POINT“ dans ma vie. Je pensais jusque là retourner au séminaire en tant que professeur de Théologie. Mais ce ne fut pas ainsi. Après l’achèvement du doctorat, j’ai été invité à travailler à la Commission Théologique de la Conférence des évêques d’Asie (FABC). Mon horizon s’est élargi: de mon diocèse et de mon séminaire jusqu’à ce monde large et fascinant du continent asiatique, où la dimension missionnaire de l’Église est vécu en dialogue.

Évidemment, les études à Washington sont importantes pour mon travail actuel. Pensai-je durant mes études que j’allais devenir Evêque, Archevêque de Manille? Où encore Cardinal? Non … C’est pourquoi mes études étaient une bonne formation pour mon service. Je peux dire que la promotion était une préparation théologique et missionnaire surtout pour mon travail dans les autres parties de l'église universelle en dehors des Philippines.

 

Nos lecteurs et nos donateurs s’intéressent aussi pour votre contexte familial. Est-ce que vous pouvez nous donner des détails sur votre passé?

Je viens d’une famille normale et simple. Je suis né à Manille, mais j’ai grandi dans la ville d‘Imus, province de Cavite. C’est mon diocèse, où je suis devenu Évêque plus tard. Mon père est filipino; pendant plus de 40 ans, il a travaillé dans une banque. Ma mère est filipina avec des racines chinoises, mon grand-père vient de la Chine. Etant adolescent, il est venu aux Philippines et il y est resté. Mes parents sont issus de milieux modestes, ils se sont rencontrés au travail, à la banque!

J’avais une sœur plus jeune, mais elle est morte après sa naissance. Et j’ai un frère, qui travaille aux États-Unis. Nous sommes donc à deux. Et ma famille, une famille modeste, qui connait la vie de travail, et aussi la migration.

Mes parents nous ont peut-être offert le plus beau cadeau pour notre vie: Ils ont veillé à une bonne éducation et nous ont transmis des valeurs, que nous pouvons insérer dans la société. Je pense que ce sont les aspects les plus importants: le lien étroit de ma famille, l’éducation scolaire, le contact avec la paroisse; c.à.d. la responsabilité dans une communauté.

 

Comment est-ce que vous avez décidé de devenir prêtre?

Au début, je voulais devenir médecin. Mes parents et mes proches ont trouvé que c’était une bonne idée. Donc, déjà étant jeune, j’ai été fixé à cette idée et je n’avais seulement cette idée en tête. À partir de 13 ou 14 ans, je m suis engagé dans la paroisse. C’était le travail avec les jeunes sur les lieux. Je me rappelle un program des paroisses pour les enfants de la rue et à nos activités après un typhon. Pour tous ces gens, qui ont perdu leur maison, nous avons mis à disposition de la nourriture et des vêtements. Pendant ce temps-là, j’ai été en contact avec des jeunes prêtres et missionnaires. C’étaient des gens avec une vision, qui ont cru à un changement de la société! Et cela en plein pendant les temps difficiles de la crise politique des années 1960 et dans les moments très critiques du pays. J’ai grandi dans ces circonstances, me sentant chez moi dans la paroisse et passionné par la mission. Tant de femmes et d’hommes, de prêtres et personnes d’ordres s’engageant avec tout ce qu’ils ont pour la vie de l’église, de la paroisse, des autres. Tout de même, je voulais encore étudier la médecine. C’est là, qu’un prêtre m’a invité et il m’a promis un soutien justement pour ces études [de médecine] … mais en fait, il ne s’agissait pas des études de médecine, il s’agissait de l’examen pour le séminaire. C’est seulement après que je m’en suis rendu compte. „Pourquoi est-ce que tu m’as fait cela?“ Lui ai-je demandé après le teste. Il a répondu: „Parce que jusqu’à maintenant, tu n’as qu’une seule idée en tête: Devenir médecin. Mais, il faut aussi considérer d’autres dimensions, d’autres possibilités.“ J’ai été un peu embrouillé et j’ai continué à réfléchir: Vais-je devenir médecin? Dois-je étudier la théologie? Avec des conseils des autres je me suis finalement décidé: Je vais étudier la théologie.

Et c’est là que j’ai découvert le sens profond de la vocation. Vraiment, c’est un appel. C’est n’est pas moi, mais c’est Dieu lui-même qui appelle. D’abord mon propre choix et mon désir étaient devenir médecin. Mais c’est là, que j’ai découvert le secret de la vocation. Il y a là quelque chose qui me satisfait et quelqu’un qui fascine. Et je me retrouve sur un tout autre chemin qu’envisagé au début; un chemin, qui m’ouvre les yeux: Qui suis-je vraiment? Ce n’était plus seulement mon plan à moi et à la fin, il me restait plus qu’à dire „Here I am!“

 

Après vos études, vous avez commencé à enseigner et vous êtes souvent demandé à donner des déclarations théologiques. Quelle est l’importance de la formation théologique pour l‘Église?

Quels sont les défies pour les théologiens aux Philippines? De plus en plus, je m’aperçois qu’une bonne pratique missionnaire et pastorale doit être accompagnée d’une théologie solide – et qu’une bonne théologie a des effets missionnaires et pastoraux. Cela va ensemble, l’un soutient l’autre. Je suis heureux, que j’ai pris l’option d’être prêtre pendant le temps défiant de la dictature. Sous les conditions difficiles, sous lesquelles l’Église a vécu, j’ai eu ma propre inspiration par des gens de l’Église, des femmes et des hommes, de personnes d’ordre et d‘autres prêtres, qui eux ont pu donner des réponses pour des gens dans leurs moments critiques de leur vie. C’était un témoignage de la vie en direct et les réponses ne doivent pas être insipides, fictives, conçues intelligemment ou encore imaginées. Il faut un fondement théologique solide, une tradition théologique solide, etc. Ainsi, les deux s’inspirent mutuellement: la pratique pastorale et missionnaire est un enrichissement pour la théologie et vis-versa la théologie est un enrichissement de la pastorale.

En ce sens le défi des théologiens des Philippines est le même que pour l’Asie entière:

Comment menons-nous un dialogue avec les pauvres?

Comment créons-nous un dialogue culturel?

Je ne veux pas dire que c’est une compréhension étroite de la culture et de la musique, de l’art ou des coutumes. Tout ceci joue sûrement un rôle très important.

Mais en tant que culture je comprends la signification entière et existentielle des valeurs humaines; les questions de quoi donne du sens à la vie. Le défi est: comment découvrir le message chrétien pour qu’il offre à notre culture plus de vie. Les Philippines sont marquées par la migration, par la diversité et le pluralisme. Nous poursuivons le dialogue avec les autres religions. Précédemment, les Philippines étaient très catholiques, mais maintenant et aussi à cause de la migration nous nous occupons des autres visions du monde.

 

Le nouveau Pape parle du “narcissisme théologique”. Que pensez-vous de cette affirmation et que devrait se changer dans la Théologie?

Le narcissisme est toujours une tentation. Ceci n’est pas seulement le cas pour la théologie. On trouve cela aussi dans d’autres domaines, la politique par exemple. Les politiciens aiment s’occuper d’eux-mêmes. Le narcissisme dans l’art, dans l’économie. C’est ainsi que je le vois dans la théologie. Rester entre nous peut être très entreprennent. Ceci aussi est une tentation: rien que les idées à soi, un joli bureau bien équipé avec des livres et des articles à soi. Ceci pourrait être une tentation. La théologie rien que pour la théologie? La théologie n’est pas une fin en soi. Les théologiens „professionnels“ doivent être en dialogue avec les hommes sur place, en dialogue avec la pratique de la pastorale et de la mission!

Et ici aussi il y a une relation mutuelle: La pensée théologique doit être prise au sérieux par les praticiens. Il ne doit pas seulement s’agir de petites choses, de ceci ou de cela, mais d’une base profonde de la croyance chrétienne. La théologie est au service de la prédication de l’église, de sa pastorale.

C’est pourquoi qu’il faut être d’accord avec le Saint Père – d’ailleurs pas seulement pour la théologie, mais pour l’Église toute entière. C’est un défi à prendre de surmonter l’autoréférence de l’Église, de laquelle le Saint-Père parle.

 

Le nouveau Pape exige une Église des pauvres, une Église qui va chez les pauvres. Est-ce qu’il vous reste encore le temps de rencontrer les pauvres depuis que vous êtes Archevêque de Manille?

En tant qu’Archevêque je rencontre les paroisses aux occasions très diverses. Je connais les „fiestas“, mais aussi les rencontres et les programmes de l’évangélisation, les activités des catéchètes, les réunions de la Caritas ou des jeunes. Il y a beaucoup d’offres dans la megacity de Manille. Et là partout je rencontre les pauvres! Dans chaque paroisse il y en a, surtout dans les périphéries de la ville. Je pense aux visites habituelles, qui font partie de mon service. Les contacts et les dialogues courts avant la célébration de la messe par exemple, les visites chez les gens.

Mais aussi les rencontres dans les bidonvilles, les conversations avec les enfants, avec la Caritas, à l’hôpital. Tout cela fait partie de mon service d’évêque.

Mais, il y a aussi les contacts informels avec les pauvres, quand de temps en temps je me promène à pied à Manille le soir; quand les gens ne savent pas que l’Archevêque est en train de passer devant eux. Là, vers 21 heures, je vois les familles cherchant un coin pour dormir. Ou, je vois les enfants, qui n’ont rien à manger et prennent la drogue pour apaiser leur faim. Ca, c’est la vie quotidienne sans grande propagande, sans presse, sans photographes. Ceci se passe à l’invisible.

A part cela, il y a aussi les contacts organisés et structurés avec les représentants de la vie publique. En dialogue avec eux, je me perçois en tant que voix des pauvres. Je cherche aussi le contact avec le gouvernement. J’y appelle pour que nos politiciens sachent ce qui se passe. Ainsi, l’Église aide à améliorer les conditions de vie des pauvres.

 

Pour la première fois vous avez participé au conclave. Comment l’avez-vous vécu?


Tout d’abord, je ne pouvais à peine croire que j’allais participer à un conclave. Tant de cardinaux avant moi n’ont jamais participé à un conclave. D‘autres ont déjà bien plus de 80 ans. Et moi, j’y fais partie n’étant cardinal seulement depuis trois mois. Je commençais tout juste à m’adapter à être „cardinal“. Juste à ce moment-là arrive la fonction la plus importante – ou plutôt: le service le plus important d’un évêque: le conclave. Comment je m’y suis pris? Ce n’est pas un sentiment de fierté, je peux plutôt dire que cette expérience me rend humble. Cette expérience … là, tout d’un coup, je me suis rendu compte que j’étais le seul filipino participant au conclave et je me suis presque effrayé à l’idée que ma voix [littéralement: main] et ma décision comptaient pour 90 millions Philippins.

C’était un moment de grâce, un moment historique, car chaque conclave entre dans l’histoire. Je me rends compte de la portée de ma décision par ma voix. Chaque jour, nous prenons des décisions: Que vais-je manger? Que vais-je porter? Que vais-je faire aujourd‘hui? Et, aussi des décisions qui concernent les autres. Mais la décision au conclave était différente. Cette décision est à vérifier profondément en toute conscience devant Dieu, car c’est une décision pour l’Église entière. Un moment crucial. C’était une expérience spirituelle, il faillait avec précision examiner la motivation pour trier les pensées. Je ne peux toutefois pas parler des processus internes, cela fait partie du «mystère» [et il rit encore].

 

Le nouveau Pape vient de l’Amérique du Sud. Comment sera ou comment devrait être le rôle des «jeunes églises» d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud?

Précédemment nous avons parlé au sens classique d’une Église européenne, qui envoie des missionnaires aux dits „jeunes églises“. Aujourd’hui, nous savons que l’Église entière est envoyée de missionnaires. L’Afrique, l‘Asie et l’Amérique du Sud sont plus que jamais actives dans l’Église Universelle. Nous devrions percevoir rigoureusement cette responsabilité. L’Église universelle a besoin de la participation d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique, si elle veut vraiment devenir Eglise “catholique”. Je disais ce matin [lors de la conférence „Inter Gentes“ à l’Université Catholique de Nairobi]: L’universalité, la catholicité ne sont pas des choses abstraites, elles doivent toujours être concrètes. La „Catholica“ devient vraiment catholique, si nous nous impliquons dans notre identité d’asiatique, d‘africain ou d’américain: Une croyance, une église. Nous devrions sérieusement réfléchir sur notre identité, nos expériences, sur nos rêves, souhaits, batailles mais aussi sur nos réussites. Tout cela fait partie de la communauté de la „Catholica“.

 

Est-ce que la vue de l’Église est encore très européenne? Que devrait changer?

La longue histoire de l’Église est liée étroitement avec l’Europe. Je ne pense pas que les plus de milles ans d’histoire de l’Occident chrétien peuvent être niées, dans lesquels l’Europe a joué un rôle très actif dans le développement de l’Église. C’est un fait historique. La mentalité et le changement des défies historiques sont à admettre. Il ne s‘agit pas de rejeter l’Europe, mais d’écouter les autres continents. Nous sommes là les uns pour les autres! L’Europe ne va pas disparaitre. Non, pas du tout. Mais, l’Europe va devoir apprendre à écouter. Vivre avec les autres. Cela signifie aussi: Les églises des autres continents doivent avoir le désir de s’impliquer. De s’annoncer. Si nous nous y bougeons pas, les gens vont évidemment dire: „Ce n’est qu’une Église européenne.“ Nous devons affronter ce changement: le partager! C’est justement ce que c’est: „missio inter gentes“: Les hommes et les peuples, qui s’échangent mutuellement, qui vivent le dialogue, qui s’écoutent. Dans ce procès nous allons nous développer en tant qu’Église et nous allons devenir ce que nous sommes!

Merci beaucoup!

Conception des Questions: l'Institut de Missiologie (MWI)

Interview et transcription: Michael Meyer

Traduction: Nadine Albrecht

Aachen, 25.07.2013